Contexte géopolitique de la COP27
La COP27 à Sharm El Sheikh a démarré le 6 novembre avec une participation amoindrie des chefs d’Etats, laissant déjà prédire un faible portage politique et par conséquent un sommet qui risque de décevoir. Afin d’éviter d’entretenir le suspense quant au bilan de ce sommet, nous pouvons dès l’introduction admettre que la COP27 peut-être qualifiée d’une victoire en demi-teinte, car oui il y a eu adoption du texte de la création d’un nouveau mécanisme de financement au profit des pays très pauvres pour dédommager les dégâts dévastateurs causés par le dérèglement climatique. Toutefois, les pays riches ont finalement accepté dans l'ultime moment des négociations de céder à la principale revendication des pays du Sud -qui se résume dans le financement des pertes et des dommages-, au dépend d’autres points cruciaux dans l’agenda des négociations, en l’occurrence la question de réduction des émissions des GES à la source qui n’a pas connu de progression depuis la dernière COP26 à Glasgow. Cet objectif se voit donc injecté et reporté pour 2023 au moment où les impacts de la crise climatique se font de plus en plus ressentir.
Si les décisions convenues lors de ce 27ème sommet peuvent être considérées de maigres comparées à ce qui est préconisé par les scientifiques, ou encore ce qui est revendiqué par la société civile internationale, il faut reconnaitre qu’un tel résultat n’était pas évident dans un contexte géopolitique particulier et ambigu qui a relégué l’agenda climatique au second degré, retardant ainsi et ce, depuis plusieurs mois l’action climatique de sorte que la crise climatique s’est effacée et n'est plus perçue comme urgente et prioritaire. Elle s'est trouvée occultée par le dossier brulant de la guerre en Europe et les implications engendrées sur les plans énergétique et commercial.
L’invasion Russe de l’Ukraine et ses répercussions sur le plan énergétique a forcé plusieurs pays à restructurer leurs stratégies énergétiques nationales, ce qui a marqué le recours aux énergies fossiles et la mise en suspens de l’agenda climatique. De même, les tensions géopolitiques, notamment entre les Etats Unis et la Chine ont entravé l’esprit de collaboration nécessaire pour un cadre multilatéral plus renforcé en matière de climat. Ces tensions géopolitiques ont été des signes précurseurs laissant prévoir que es négociations allaient être compliquées.
Un bilan mitigé de la COP27
Le secrétaire général des Nations Unies avait annoncé dans son mot d'ouverture de la COP27 l’impératif de rompre avec la politique attentiste suicidaire dans les négociations et d’œuvrer durant les deux semaines de la COP pour un accord qui soit à la hauteur du défi climatique et qui permet de réduire drastiquement les émissions mondiales des Gaz à Effet de Serre (GES) . Il ajoute même que l’humanité a besoin d’un véritable ‘’pacte de solidarité climatique’’. Antonio Gutterres a totalement raison de tenir un discours poignant car depuis l’adoption de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC)-il y a de cela trois décennies- , la courbe d’émissions des GES ne s’infléchit pas et l’échelle des temps politiques ne s’aligne visiblement pas sur l’échelle des temps climatiques. Il est judicieux de rappeler que pour rester sur la trajectoire de 1.5°C d’élévation de la température moyenne sur Terre (nous sommes actuellement à 1,1°C d’élévation de la température moyenne depuis 1880), nos émissions mondiales ne doivent pas dépasser les 500 milliards de tonnes de CO2 selon le premier volet du sixième rapport du GIEC rendu public le 9 aout 2021. Cela nous laisse d’ailleurs une chance de 50% pour ne pas dépasser le 1.5°C à la fin du siècle en cours. En tenant compte des émissions annuelles qui s’élèvent à environ 40 milliards de tonnes et qui nous situent à une trajectoire de 2,8°C vers la fin du siècle en cours, nous sommes dans l’obligation de réduire de 40% les émissions mondiales entre 2020 et 2030. Le défi est de taille et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous n’avons plus le luxe de retarder davantage les échéances des COP ni de se contenter des décisions timides alors que le dérèglement climatique ne cesse de causer des drames humains.
La COP27 était annoncée comme le sommet de la mise en œuvre des dispositions de l’Accord de Paris après la finalisation des règles d’application de ce dernier lors de la COP26 (en 2021). Rehausser les objectifs de réduction des émissions et catalyser l'action de l'adaptation aux impacts imminents du changement climatique figuraient comme principales priorités, de même que la réparation des dommages que subissent les pays pauvres à la suite des impacts de la crise climatique. Bien évidemment, l'adaptation et la compensation des dommages coûtent chers, c'est pourquoi la question de financement est cruciale pour concrétiser ces deux stratégies complémentaires, notamment auprès des pays très pauvres et les petits Etats insulaires.
Après deux semaines de négociations en Égypte, la COP27 s’est achevée très tôt, le dimanche 20 novembre et depuis, le grand public se pose la question sur le bilan de ce énième sommet sur le climat et la cinquième COP africaine.
Si plusieurs voix ont qualifié les résultats de la COP27 de satisfaisants, il faut se rappeler que dans la plupart des accords conclus à l’issu de ces sommets sur le climat, le diable se niche dans les détails et c’est ce que nous essaierons d’expliquer dans ce qui va suivre. D’ailleurs, si nous nous référons aux propos de la Vice-présidente de la Commission Européenne, nous pouvons déjà dire qu’il s’agit d’un pas en avant très court, car l'accord ne s'attaque pas aux sources du problème, c'est à dire les origines fossiles de l'énergie. Ursula Von Der Leyen n’a pas caché sa déception et ajoute également que ‘’ nous avons traité certains symptômes mais nous n'avons pas guéri le patient de sa fièvre’’. Quant au vice-président de la Commission Frans Timmermans, il a précisé lors de la clôture du sommet que l’accord final ‘’n'apporte pas un degré de confiance plus élevé dans la réalisation des engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et à Glasgow l'année dernière".
Ainsi, l'accord de Sharm El Sheikh est un accord à minima, peu ambitieux et, ne va pas plus loin que le Pacte de Glasgow qui appelle à la sortie du charbon et à la neutralité carbone. L’Egypte qui a présidé le sommet paraissait se contenter des résultats atteints et n'ouvrait pas suffisamment pour aboutir à des résultats plus ambitieux. En effet, une des explications plausibles c'est que l'Égypte a cherché à ne pas contrarier ses alliés politiques qui sont la Russie, l'Iran et l'Arabie Saoudite. Dans la même optique, et selon Greenpeace, l’Egypte et l’ONU ont facilité la participation de 656 lobbyistes des fossiles, responsables d’avoir bloqué l’ambition climatique. Un nombre record selon certaines sources. En plus de cette participation suspicieuse des lobbyistes, la COP27 a été entachée par blocages qu’ont dû surmonter les journalistes et les défenseurs des droits humains au sujet des abus signalés en matière de droits humains et de répressions de la liberté d’expression.
La situation répressive en matière de droits humains a aussi des répercussions sur l’action climatique menée par la société civile égyptienne puisque le gouvernement a mis en place des restrictions à l’égard de plusieurs groupes environnementaux en imposant des obstacles arbitraires.
Le dossier brulant des pertes et dommages
S’il y a une décision marquante lors de la COP27 c’est bien le fait d’être parvenu à acter un fonds d'indemnisation pour réparer les dégâts afin d’aider les pays pauvres à faire face aux aléas climatiques dévastateurs. Comme l’avait dit le membre du parlement du petit Etat insulaire, le Vanuatu, lors de la plénière d’inauguration du sommet, la COP27 sera un échec sans un nouveau fonds mondial pour les pertes et dommages pour les pays vulnérables.
Après une décennie de blocage total et une volonté manifeste de mettre le sujet à la marge de l‘agenda des négociations au début de la COP, les pays riches, à l’initiative de l’Union Européenne ont fini par accepter la création d'un fonds pour répondre aux pires impacts climatiques. Certes, les détails restent à définir et le fonds en question ne sera opérationnel que dans deux ans (COP28) , mais la société civile internationale et les délégués des pays du Sud –qui ont largement milité pour cet acquis-, se félicitent de cette avancée et préfèrent rester vigilants car du doute plane encore quant à la contribution des parties à ce fonds. A titre d’exemple nous savons déjà que la Chine ne fera pas partie des contributeurs à ce fonds étant donné qu’elle se considère toujours comme un pays en développement.
La Chine et les autres pays riches, nouvellement industrialisés, ne sont pas concernés par le fonds de compensation des pertes et des dommages. Pour la partie relative aux sources de financement, une commission sera chargée d’examiner si des acteurs multilatéraux comme la Banque Mondiale et le FMI peuvent contribuer à l’alimentation du fonds.
Cette victoire, considérée comme un pas de géant dans la réparation des dégâts, témoigne du rôle qu'ont joué les pays du Sud pour faire entendre leur voix et faire en sorte que les pollueurs payent la dette climatique.
Réduction des émissions
Le texte final de l’accord de Sharm El Sheikh a réitéré l’objectif de réduire de 43% les émissions mondiales vers 2030, par rapport aux niveaux de 2019, et ce afin de rester sur la trajectoire de 1.5°C d’élévation de la température moyenne sur Terre. Pour la question d’abandon progressifs des combustibles fossiles, le texte a déçu puisqu’il ne mentionne que la sortie du charbon telle qu’énoncé dans le Pacte de Glasgow (COP26) et absolument rien sur les autres sources comme le gaz ou le pétrole.
De même, nous pouvons facilement constater que plusieurs points du Glasgow Climate Pact ont été repris tels qu’ils sont, dont notamment le point 17 relatif à la réduction des GES autres que le C02, en l’occurrence le méthane (CH4). Il parait ainsi évident que l’accord de Sharm EL Sheikh se limite à réaffirmer les objectifs de l’Accord de Paris et du Pacte de Glasgow.
Nous remarquons également l’absence de l’objectif relatif à la neutralité des émissions vers 2050 dans la section qui a rapport à la réduction des émissions (mitigation) alors qu’un objectif similaire se trouvait déjà dans le Glasgow Climate Pact.
Certaines informations relatent que la Chine et l’Arabie Saoudite faisaient partie des pays qui se sont montrés réticents envers l’inscription de l’objectif 1,5°C dans le texte final de l’accord. Si ces derniers ont explicitement exprimé leurs positions, d’autres parties supposées baliser le chemin pour que le reste des pays s’engage à réduire drastiquement leurs émissions, n’ont toujours pas actualisé leurs objectifs nationaux formulés dans leurs Contributions Déterminées actualisées respectives. Seulement une trentaine de Rapports actualisés ont été soumis sur le registre des CDN depuis 2021 et ce, en dépit du foisonnement de promesses et d’engagements manifestés l’année dernière en marge de la COP26 à Glasgow.
Une COP galvaudée par les restrictions imposées à la société civile et par les violations des droits et des libertés
Le cauchemar des participants à la COP27 a démarré avec les complications dans le processus d’obtention de visa, a continué avec les prix excessivement chers des hôtels et s’est poursuivi avec les conditions draconiennes, très strictes dans l’organisation des manifestations.
Certains délégués ont même exprimé leur inquiétude quant aux méthodes de surveillance pratiquées par les autorités gouvernementales du pays hôte et ont dénoncé cela auprès du secrétariat de la CCNUCC. Cette dernière a annoncé l’ouverture d’une enquête sur des ‘’violations du Code de conduite’’ sans suite jusqu’à ce jour.
Conclusion
Depuis 2015, date de l‘adoption de l’Accord de Paris, les COP continuent sérieusement de patiner et manquent à chaque fois le sursaut attendu. La COP27 ne fait pas l’exception puisque le texte de Sharm El Sheikh n’a pas apporté l’élan escompté et peut être qualifié de mitigé, voire décevant car les résultats sont encourageants sur certains aspects et très décourageants sur d’autres. Un pas en avant vers la justice climatique a été enregistré avec l’adoption d’une décision attendue depuis des années, portant sur la création d’un fonds nouveau, supplémentaire et additionnel aux autres fonds qui servira à dédommager les pays pauvres touchés par les impacts du changement climatique. Si cette décision peut être qualifiée d’une avancée remarquable dans les négociations, beaucoup reste à faire dans la réduction des émissions mondiales des GES et dans la sortie progressive des combustibles fossiles, où l’occasion a encore une fois été manquée, voire retarder pour un autre sommet.
Il est important de préciser qu’en matière de financement, la plupart des contributions et promesses sont sous la forme de prêts. Ils ont été initialement promis aux pays du Sud et se trouvent désormais rééttiquettés. Nous assistons donc à la transformation des dettes climatiques en dettes économiques. La proposition de la Commission Européenne prévoit un allègement voire un effacement de la dette des pays du Sud. C'est un peu confus et contradictoire car d'une part on cherche à les endetter davantage et de l'autre on prétend effacer la dette.
En matière de droits humains, cette COP nous incite à repenser les conditions d’attribution de l’organisation des sommets du climat aux pays hôtes puisque plusieurs restrictions ont été imposées à la société civile internationale et plusieurs délégués et négociateurs se sont plaints des pratiques suspicieuses qui violent les libertés individuelles.